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Des rêves sur la décharge

Alessandro vivait avec beaucoup d’autres enfants sur une montagne d’ordures où des camions venaient jour et nuit déverser les déchets produits par les habitants de la grande ville, où des oiseaux voraces disputaient les débris alimentaires aux enfants qui n’avaient pourtant que les fruits abîmés, les restes de pain ou de gâteaux trouvés dans la décharge pour se nourrir.

 décharge d'alessandro

Il avait fait d’une vieille caravane jetée là sa maison. Il y dormait avec quelques autres enfants et, parfois, quand il pleuvait trop fort pour aller gratter dans les immondices, ils s’y réunissaient et se racontaient leurs rêves, ceux de la nuit qui devenaient souvent des cauchemars

cauchemar oiseau
cauchemar soleil

et ceux qu’ils faisaient, éveillés, en regardant, au loin, les immeubles de la ville. Alessandro était le plus imaginatif et ses rêves étaient si colorés, si bien racontés qu’ils déclenchaient l’apparition d’images réconfortantes dans la tête de ses camarades. « J’aurais un papa et une maman et nous habiterions une maison construite sur un nuage. Elle se déplacerait au gré du vent et nous pourrions ainsi survoler d’autres pays, voir le monde entier. - Moi, disait Roberto, je pourrais vivre avec ma famille dans un de ces grands immeubles et j’aurais une trottinette bleue et rouge pour aller à l’école dans de beaux vêtements propres, pas déchirés. - Je préfèrerais avoir un vélo pour faire des promenades dans les allées du parc dont on aperçoit les arbres depuis la décharge, rêvait à voix haute la petite Suzanna. - J’irais jusqu’au port sur ma planche à roulettes et je regarderais les grands bateaux partir, ajoutait Sandro. »

rêves de ville

Au lieu de cette trottinette, de cette planche à roulettes et de ce vélo, les enfants devaient se contenter de quelques roues qu’ils entassaient pour les vendre aux ferrailleurs afin d’en retirer deux ou trois pesos qu’ils utilisaient pour acheter du pain frais ou un œuf que vendait un autre enfant débrouillard au pied du tas d’ordures.

décharge de Maïlis

Un jour, Alessandro trouva un joli morceau de verre bleu aux bords arrondis dans un sac poubelle qu’il venait d’éventrer. Il resta pensif devant sa trouvaille imaginant qu’il venait de découvrir une pierre précieuse. Son imagination l’entraîna vers des galeries souterraines dans lesquelles abondaient saphirs et rubis, diamants et émeraudes. Il vit même Suzanna parée de toutes ces pierres…

 pierres précieuses Elodie
pierres précieuses malou
 pierrres précieuses lilwenn

Mais non, il était bien sur les ordures : Suzanna portait ses loques habituelles et son visage était noirci par la saleté du lieu.

 décharge Alessandro

Tiens, un vieux guéridon branlant, très sale ! Alessandro inventa une nappe rouge pour habiller la vieille table, la théière bleue et le bol jaune fêlés et ébrêchés qu’il avait trouvés hier et apportés à la caravane devenaient les éléments d’un petit déjeuner somptueux. Chaque fois que le garçon fermait les yeux, la scène du petit déjeuner se reformait derrière ses paupières.

décharge Chloé
dejeuner elodie
dejeuner gabrielle

Des avions transportant de riches passagers survolaient souvent le dépotoir où travaillaient les enfants. Suzanna rêvait parfois qu’un jour, elle serait dans l’un de ces grands oiseaux blancs mais elle avait peu d’espoir de concrétiser son rêve, il faudrait d’abord qu’elle puisse se laver pour qu’on la laisse monter à bord.

 avion de Cléo

Tous les enfants de la décharge avaient des envies d’eau : ils soulevaient chaque jour tant et tant d’objets souillés desquels s’échappaient des nuages de mouches ou de moustiques que leur imagination, pour leur faire supporter leur vie, les entraînait vers des rivages transparents, peuplés d’animaux dont ils connaissaient l’existence grâce aux images des vieux magasines découverts dans les ordures. Ils collectionnaient ces pages dans la caravane, c’était leur télévision.

flaque malou
flaque cleo
flaque elodie

Un chat venait souvent, la nuit, fouiller les déchets pour trouver sa subsistance. Peut-être que lui aussi avait des rêves : celui d’une belle terre de jardin sous laquelle il pourrait rencontrer un petit mulot et un ver de terre avec lesquels il jouerait, ou encore celui d’une maison où il pourrait faire des bêtises vite pardonnées parce qu’il serait aimé.

reve de chat
 chat chloé
 chat Lilwenn

Ce soir-là, Alessandro, pas trop dépenaillé car il avait trouvé un sac contenant des vêtements propres, s’était assis à l’écart de la décharge, dans un endroit nu où les lignes ne s’entremêlaient pas n’importe comment, pour vendre à des passants quelques objets pas trop déglingués et des fils métalliques. Il avait gagné un peu d’argent et pouvait rêver de s’échapper du désordre de la décharge en suivant ces sillons ordonnés vers un autre univers, un monde d’ordre et de netteté qui doit bien exister quelque part…

lignes

Mais, Suzanna, Roberto, Sandro et les autres, les laisserait-il continuer seuls leur harassant travail ? Ne valait-il pas mieux mettre en commun leurs petites fortunes et tâcher de conquérir, ensemble, ce monde merveilleux qu’ils imaginaient ?

fin
 lignes de Chloé

Histoire de Gisèle, dessins des enfants de l'atelier du foyer socioculturel de Belle île en mer. Février 2020