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La graine, l'oiseau et le jardinier

Dans un pays lointain, de l’autre côté de la mer, un arbuste avait poussé dans un minuscule jardin, au pied d’un long palmier dattier très étonné par la présence de cette plante : il avait laissé tomber ses dattes à son pied, de leurs noyaux avaient jailli de fines feuilles pointues, plantules de jeunes palmiers,

plantules de palmiers

mais le maître des lieux les avait arrachées en disant : « Mon jardin est trop petit, il ne peut nourrir autant de palmiers. » Cet homme avait pourtant laissé se développer cet arbuste aux branches rouge-sang, aux feuilles comme des étoiles rouges mais d’un rouge mêlé de vert sombre.

arrachage des dattes

Il avait vu apparaître sur les branches des grappes de boules, rouges aussi, mais d’un rouge très lumineux, hérissées de pointes, comme de petits hérissons enroulés sur eux-mêmes. En ouvrant l’un de ces fruits, il en avait sorti trois graines magnifiques : imaginez des grains aussi gros que des haricots enveloppés dans une peau lisse et brune parcourue de lignes dorées. Chaque graine avait son dessin et l’homme qui les tenait dans le creux de sa main se dit : « C’est bien aussi beau qu’une pierre précieuse qu’on pose sur une bague ! » Il aligna les graines sur le rebord de la fenêtre, au soleil, pour le plaisir de les voir briller.

ricin et ses fruits

Dans ce pays lointain vivait aussi un oiseau de la grande famille des pies. C’était un cousin très éloigné des pies de nos régions toujours vêtues d’un habit noir et blanc. Les pies de ce pays n’avaient pas peur des couleurs vives : du rouge sur la tête, du beige doré sur les épaules, chaque plume grise des ailes bordée de blanc et un ventre blanc immaculé, cet oiseau n’hésitait pas à montrer son goût pour le luxe. Chez les hommes de ce pays se racontaient des histoires extraordinaires au sujet de ces oiseaux. On disait qu’ils aimaient l’or et les pierres précieuses et qu’ils n’hésitaient pas à s’introduire dans les maisons pour voler les bijoux des femmes laissés sur une table,

survol de la pie

qu’ils les emportaient dans leur bec et les déposaient au fond de leur nid, on disait encore que, parfois, ils avalaient la pierre précieuse, la médaille, l’alliance qu’ils avaient dans le bec et, en volant, quelques jours plus tard, quand ils faisaient caca, ils perdaient leur trésor au-dessus d’un champ, du désert ou de la mer….Un paysan de ce pays était un jour rentré de l’olivaie dans laquelle il avait labouré avec une petite pièce d’or que le soc de la charrue avait fait remonter du sable. Tout le monde avait pensé à un cadeau involontaire d’une pie.

 dans le nid de la pie

Je suis sûre que vous, les enfants qui lisez mon histoire, avez déjà compris quelle relation il y a entre les deux paragraphes que je viens d’écrire. Allez-y, racontez, je vais préciser après vous avoir écoutés.

Une de ces pies luxueusement vêtues vint se poser sur une palme du grand palmier du minuscule jardin.

 pie perchée sur le palmier

De là-haut, elle voyait tout ce qui se passait dans les cours des maisons et il se passait souvent beaucoup de choses : là, une femme était en train de rouler la graine du couscous et, pour ce faire, elle avait ôté son alliance et l’avait posée sur une grosse pierre près de sa bassine, mais, c’était un anneau en argent, il ne brillait pas assez pour intéresser notre pie. Ailleurs, un bébé dormait dans un couffin, à l’ombre du mur et une boucle d’oreille, petit grain d’or, attira le regard de la pie mais, la petite fille tourna la tête dans son sommeil, cachant ainsi le bijou.

cours de houchs

Dans les autres cours, tout était terne et ne méritait pas l’honneur de venir décorer le nid. Le grand palmier se mit à secouer légèrement ses palmes et le bruit qu’elles firent en se choquant parla à la pie qui connaissait bien le langage de beaucoup de plantes : « Juste au-dessous de toi, près de la fenêtre, as-tu vu comme ça brille ? ». Le palmier était assez content de jouer un mauvais tour à l’homme du jardin qui avait arraché tous ses enfants pour laisser de la place à cette plante rouge, une intruse qui était venue d’on ne savait où. Il n’y avait aucun danger en vue : pas d’homme, pas de chat, un habile piqué de la pie et il ne restait plus que deux graines sur le rebord de la fenêtre.

trois graines

La pie revint le lendemain à la même heure et, merveille, il y avait beaucoup, vraiment beaucoup de ces grains brillants disposés sur le rebord blanc. Elle en vola un second et décida de raconter sa trouvaille à ses congénères. Le maître du jardinet n’avait jamais eu, auparavant, autant de visites de ces beaux oiseaux colorés et il sacrifia sa collection de graines sans trop de peine au plaisir de ces visites. Quant à l’arbuste rouge, il était plus préoccupé de l’élégance de son allure que de sa descendance et il crut que ces nombreux oiseaux qui se posaient sur le bord de la fenêtre ne venaient que pour l’admirer. Il se rengorgea et fabriqua beaucoup de très belles feuilles de plus en plus rouges.

 trois pies

Dans les olivaies de ce pays régnait une agitation habituelle à cette saison : quelques pies parmi les plus jeunes, qui avaient envie de connaître le monde, se préparaient à partir vers le nord, plus frais que les terres limitrophes du désert, où elles trouveraient en abondance sauterelles et petites souris pour se nourrir. Elles confièrent leurs nids et les richesses qu’elles y avaient déposées à leurs parents, amies et pies de confiance.

L’un de ces oiseaux arriva, quelques jours plus tard, dans le ciel de Belle île en mer. Fatigué par ce long voyage, il se posa sur un vieux tronc sec d’un jardin bien verdoyant. Il écouta les chants des autres oiseaux déjà présents dans ce jardin. C’était difficile de comprendre ce que disaient ces chants mais, dans ce brouhaha, il devina que tout était paisible sous ces frondaisons. Il captura un imprudent petit mulot roux qui se promenait sous un rosier grimpant dans ce jardin, mulot qu’il déchiqueta instantanément et, rassasié, il relâcha tous ses muscles fatigués, évacua rapidement un gros caca et s’endormit sur le tronc mort avec lequel il se confondait. La pie mena sa vie de pie tout l’été et, sans doute, regagna l’olivaie proche du Sahara pour fuir le froid et le mauvais temps de notre pays mais elle avait laissé un souvenir qui intrigua beaucoup le vieux jardinier de Belle île.

En effet, les soins dont le jardin avait besoin étaient prodigués par un homme amoureux des plantes mais qui n’hésitait pas à arracher les herbes folles qui risquaient d’étouffer, d’affamer, ses rosiers, ses iris et ses digitales. Il passait beaucoup de temps accroupi, à genoux, à quatre pattes sous les feuilles d’acanthes et souvent, on ne savait pas qu’il était là. Ou plutôt, on n’aurait pu détecter sa présence si on ne l’avait pas entendu discuter avec les plantes qu’il arrachait ou qu’il épargnait. En effet, Jean-François savait dialoguer avec les végétaux, je vais vous écrire quelques dialogues dont je n’ai capté que les paroles humaines, les réponses végétales que je n’entendais pas m’ont été traduites par Jean François lui-même.

« Vous avez profité de la protection du rosier grimpant pour vous développer à votre aise, mesdames les orties.
- Bien sûr et tu ne peux pas nous le reprocher.
- Si, je vous le reproche, c’est un manque de courage évident.
- Toutes celles d’entre nous qui ont choisi de pousser au soleil se sont fait arracher dès que leur tête est arrivée à la surface des herbes.
- Aujourd’hui, je ne vais épargner aucune de vous, vous allez essayer de me piquer, je le sais bien, mais vous n’y parviendrez pas car j’ai enfilé mes gants. Il vous faudra choisir un autre endroit du jardin à envahir.
- Tu crois ?... Tu sais, il suffit que tu oublies un petit morceau de notre rhizome sous la terre pour que nous puissions redémarrer…
- Ah ! vous me menacez, b-----ques ! On verra bien qui va gagner ! » (Je ne retranscris pas les insultes, vos parents n’aimeraient sans doute pas que vous les connaissiez.)

sous les acanthes

Ou encore, perché sur une échelle, il coupait, tirait, effeuillait des tiges de lierre qui s’étaient enroulées autour du tronc du cerisier du Japon : « Tu es plus gros que je ne le pensais, tu vas me donner plus de mal que je ne le croyais.
- Si me détacher de cet arbre est un travail trop difficile pour toi, laisse-moi tranquille.
- Pas du tout, parasite ! Je vais débarrasser ce bel arbre de ta présence envahissante, je vais t’abattre, s---té !
- Aïe ! Tu es vraiment méchant et tu n’hésites pas à me faire mal en me coupant au risque de me tuer !
- Mais, je veux que tu disparaisses, je veux que tu cesses de vivre aux dépends de cet arbre.
- Tu te trompes, je ne lui vole rien, je sais me nourrir seul, je lui demande seulement de m’aider à monter vers le ciel.
- Tu l’étouffes et tu t’en fous, tu ne mérites pas que je t’épargne, p------ure. »

lierre et cerisier

Sous le millepertuis et le rhododendron : « P—ain de ronce, tu te rebiffes et tu me piques à travers le cuir de mes gants !
- J’étais là, bien tranquille avant que tu ne t’occupes de ce jardin. Si tu n’es pas content, va-t-en !
- Certainement pas ! Je laisserai ce jardin tout propre, définitivement débarrassé des plantes de ton espèce, inutiles et dangereuses.
- Comment, inutiles ! Qui produit les mûres qui font des confitures délicieuses ? Qui nourrit les oiseaux ?
- Les ronces qui poussent dans les haies des champs, pas celles qui, comme toi, rampent sournoisement au pied des buissons sans défense…. M—de ! tu me piques encore ! un coup de sécateur et tu auras fini de nuire. Voilà ! Tu ne la ramènes pas, maintenant ! »

la ronce

S’adressant au buisson d’hortensia bleu, il murmurait avec douceur : « Débarrassé du chiendent que j’arrache, tu vas pouvoir produire beaucoup de fleurs puisque toute l’eau du sol va monter dans tes branches, tu ne devras plus la partager avec ce maudit chiendent.
- Oui, et je te remercie, Jean François, de te donner tant de peine pour moi.
- Je vais satisfaire ta gourmandise, joli buisson, dans cet arrosoir, j’ai versé de l’engrais. Bon appétit ! »

hortensia

Maintenant, il s’attaquait aux héliotropes d’hiver qui avaient de bien jolies feuilles et qui fournissaient au jardin des fleurs très parfumées : « Alors vous, je ne vous comprends pas : si vous saviez bien vous conduire, vous seriez les bienvenues au jardin, je suis sûre que la maîtresse de ce jardin vous trouve des tas de qualités, mais, si je vous laisse occuper un mètre carré de terrain, vous vous sentirez autorisées à courir partout, vous recouvrirez les rhizomes des iris qui ne pourront plus fleurir faute de soleil.
- Laisse-nous occuper l’espace au pied des troncs secs, Jean-François, là, nous ne gênons personne, Nous te promettons de nous contenter de cet espace.
- Vous m’avez déjà fait cette promesse que vous êtes incapables de tenir. Je ne vous fais pas confiance. Allez, hop : dans la brouette ! Je vais vous jeter parmi les fougères de la lande voisine, débrouillez-vous pour y reprendre racine, arrangez-vous avec les fougères et les ajoncs.
- Tu es impitoyable, tu sais bien que ces deux plantes nous laisseront mourir plutôt que de partager leur territoire. »
Le jardinier cassait les feuilles, tirait sur les racines, les balançait dans la brouette à un rythme soutenu, mais, brusquement, il s’arrêta.

les héliotropes

Que se passait-il ? Que fixait-il ainsi, le buste penché vers le sol ? Au pied d’un tronc de bois sec, sous une grande feuille d’héliotrope poussait une petite plante extraordinaire car d’un rouge vif maintenant que le soleil la frappait, traversait même les petites feuilles translucides.

jardin et plantule

Jean François n’avait jamais vu pareille teinte, pareille élégance chez une plantule. Le jardinier appela les habitants de la maison attenante au jardin. Les voilà tous à quatre pattes pour mieux examiner la petite merveille inconnue d’eux tous. Les uns disaient que c’était un grain de cassis qui était à l’origine de ce plant, les autres pensaient que c’était une petite vigne ou… Mais aucune de ces plantes n’avait jamais engendré un bébé aussi rouge.

spectateurs

« Jean François, pourquoi ne l’interrogez-vous pas ? Elle vous dirait peut-être qui elle est ?
- J’ai essayé, mais elle est muette. Peut-être parle-t-elle une autre langue que celle qu’utilisent les plantes d’ici ? Peut-être est-elle trop petite pour expliquer d’où elle vient ? Laissons-là grandir et on verra qui elle va devenir. »
Jean François dressa un petit barrage de terre autour de cette nouvelle, il fixa une barrière de grillage sur la levée de terre pour que les lapins qui pullulaient dans la lande voisine ne grignotent ces tendres feuilles, il arrosa le sol et s’éloigna à regret de sa protégée mais il fallait terminer l’arrachage des héliotropes d’hiver.

arrosoir et grillage

La petite plante rouge grandit bien et vite, répondant ainsi aux bons soins du jardinier qui cherchait dans les livres de jardinage, sur son ordinateur, une image de plante ressemblant à sa jolie protégée mais il ne trouvait rien qui puisse le renseigner sur son nom. Il espérait qu’un jour, elle lui murmurerait son histoire mais elle restait désespérément muette avec lui. Elle mesurait maintenant trente centimètres, elle avait cinq feuilles parfaitement étalées et d’autres encore pliées qui sortaient du bourgeon terminal. Deviendrait-elle un arbre ou un buisson, une plante herbacée qu’il faudrait replanter tous les ans à partir des graines qu’elle aurait données, devenue adulte ?
Aujourd’hui, à son arrivée dans le jardin, Jean François alla tout de suite admirer sa plante. Que lui arrivait-il ? Les jeunes feuilles pendaient lamentablement, le bourgeon terminal penchait vers la terre.

plantule morte

Elle allait mal, la plante rouge, pourtant, il ne détectait aucun puceron, aucun voile blanc et tache orange qui auraient pu être des champignons parasites. Et sous la terre ? Il s’agenouilla pour écarter doucement la terre et voir les racines. Il s’exclama brusquement, d’une voix coléreuse : « M—de, m—de, m—de ! » Il sortit du sol un gros ver blanc enroulé sur lui-même, bien gras d’avoir trop mangé, une larve de hanneton, puis une deuxième : toutes les jeunes racines de la plante étaient coupées, elles avaient servi de nourriture aux deux larves gourmandes.

larves de hannetons

Jean François ne sut jamais l’histoire de cette plante qu’il n’avait pas eu le temps de connaître, il en était tout triste mais, qui sait si, un jour, une nouvelle graine n’arriverait pas dans le jardin ?

Mai 2021.
Une histoire pour Angèle, Camille et Charlie.