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Latifa et les roses

Dans un jardin de Jerba, une femme cultivait des rosiers. Ces arbustes avaient quelque chose de magique car ils étaient touffus : ils avaient beaucoup de feuilles bien vertes et faisaient de magnifiques roses, d'un rose très frais, nombreuses, bien rondes, avec des pétales aussi doux que de la soie, qui s'écartaient les uns des autres le matin, au soleil levant et se refermaient les uns sur les autres au soleil couchant, formant autant de petits nids très confortables pour toutes sortes de minuscules créatures qui avaient besoin d'un abri pour la nuit. Je pensais déjà que cette femme jardinière était une fée égarée dans le monde banal des humains car personne d'autre, à Jerba, n'avait été capable d'établir une telle roseraie dans un pays sans eau, s'étalant sous un soleil aussi puissant et desséchant.

Le jardin de Latifa
 plant de rosier

Et voilà qu'un beau matin, ce fut une toute petite fille qui s'échappa de l'une de ces roses (On m'avait toujours dit que les filles naissaient dans les roses, mais, je n'y croyais pas. On disait aussi que les garçons naissaient dans les choux, alors, ils devaient tous naître dans le nord de la Tunisie car, à Jerba, personne ne cultivait de choux, même pas cette jardinière.)

Naissance dans la rose

Se servant des épines de la rose comme de barreaux d'échelle, elle descendit jusqu'au sol qu'elle trouva bien froid car à l'ombre et bien mouillé : Latifa arrosait ses rosiers tous les jours.

Descente du rosier

Une grosse fourmi se dépêchait de gagner un lieu plus ensoleillé et la petite fille sauta prestement sur son dos.

 sous le rosier

La fourmi était habituée à rendre des services à tout le peuple du jardin et elle ne réagit pas en ruant, en se tortillant dans tous les sens pour faire tomber l'enfant. Non, non ! Elle poursuivit sa route comme si rien ne s'était passé.

 sur le dos de la fourmi

De grain de sable en grain de sable, de motte de terre en motte de terre, de sillon en sillon et de tabia en tabia, l'enfant et la fourmi arrivèrent...

de sillon en sillon

à la limite de la forêt d'oliviers : des arbres gigantesques, grotesques et grimaçants, menaçants, qui semblaient danser un ballet diabolique pour empêcher quiconque l'aurait souhaité d'accéder à un pays qu'ils protégeaient de leurs gros troncs tordus.

arrivée aux oliviers

Mais, qu'avaient donc dans la tête cette fillette et sa monture ? Pourquoi étaient-elles arrivées là ? Etait-ce le hasard qui les avait amenées en bordure de ce pays que personne ne fréquentait chez les humains ordinaires ? Avaient-elles un but : celui d'explorer cette terre inconnue ? Une grande conversation s'engagea entre la petite fille qui pratiquait une langue parfumée et soyeuse apprise au coeur de la rose, mais que la fourmi ne comprenait pas. A part quelques couinements, celle-ci n'avait qu'un langage des signes à sa disposition. Tandis que la fillette montrait à la fourmi qu'elle voulait escalader le tronc d'un olivier en levant les bras et les yeux vers les frondaisons des arbres, la fourmi agitait frénétiquement ses antennes et sa tête de gauche à droite et de droite à gauche. Elle ne voulait pas aller plus loin. Voilà ! C'était tout !

discussion avec la fourmi

Eh bien, la fillette franchirait toute seule la barrière des arbres : de loin, elle avait vu qu'un trou existait qui perçait la muraille d'un tronc et ce, pas très haut au dessus du sol. Le bois du tronc n 'était pas lisse, elle s'accrocherait à toutes les aspérités pour atteindre cette lucarne. C'est la différence entre cette petite humaine et une fourmi, la première, même isolée, peut accomplir de grandes choses pour le seul plaisir de la découverte alors que la seconde n'agit guère que pour le bien-être de sa colonie et estime que, déjà, elle s'en est trop éloignée et ne lui avait servi à rien pendant cette équipée.

escalade de l'olivier

Pour que mon histoire soit plus facile à comprendre, je vais appeler cette petite fille "Rosine" bien que je n'aie jamais su quel nom lui avait donné la rose dans laquelle elle était née. L'escalade n'était pas très difficile ; la voilà arrivée dans le trou qu'elle avait soupçonné et ce qu'elle découvrait la fascinait. Un paysage doucement ondulé, aux couleurs comme adoucies par un peintre qui aurait tout badigeonné d'un blanc transparent, des arbres tout en rondeurs, reliés entre eux par des fils d'une grande finesse en argent ciselé et portant des milliers de perles brillantes ressemblant aux gouttes de rosée dont la rose se parait certains matins.Des pelouses d'un vert tendre s'étalaient au pied des arbres. Une belle étendue d'eau brillait sous la lumière du soleil tamisée par le feuillage des arbres, par les palmes doucement balancées sous l'effet d'une petite brise. Une oasis ! L'ocre brutal et sec des terres que Rosine venait de traverser était maintenant derrière elle.

observation depuis l'olivier

Ce paysage nouveau exerçait sur Rosine une attraction irrésistible, alors, elle entama la descente de l'autre côté du tronc. Elle rata une écaille d'écorce et se retrouva les quatre fers en l'air sur l'herbe. Elle entendit les éclats cristallins d'un petit rire dégringolant des feuilles de l'olivier qu'elle venait de traverser. S'envolant de ces branches basses, un charmant "Prince" ailé, pas plus grand qu'elle, atterrit à son côté.

chute depuis l'olivier

"Voilà des heures que je te regarde à travers le feuillage lâche de ces arbres qui nous protègent ; tu venais vers notre pays et je me demandais si tu trouverais un passage pour nous rejoindre car tu es des nôtres.

En t'observant, je pensais que je n'avais jamais vu, avant aujourd'hui, de l'autre côté, que des humains gigantesques qui m'effrayaient et j'étais bien content qu'ils ne s'aventurassent jamais chez nous. Leurs gros pieds nous écraseraient, leurs machines à retourner la terre démoliraient tout ce que nous aimons ici, leur goût pour les disputes (je les entends parfois crier et je les vois même en venir aux mains) serait destructeur de la sérénité dans laquelle nous vivons. Mais toi, tu étais comme nous et c'était une surprise de t'apercevoir. Raconte moi. Comment tout ceci est -il possible ?

Jerbien et Jerbienne

- Je suis née il y a quelques jours dans une rose du jardin de Latifa et ma mère, la rose, m'a murmuré à l'oreille que je devais partir vers l'ouest pour trouver le pays d'où elle venait. Latifa est une fée, elle avait cueilli un rameau de rosier, il y a très longtemps, en passant son bras dans un trou d'olivier et en avait fait une bouture enchantée dans son jardin. De cette bouture étaient nés de nombreux autres rosiers mais je suis la première petite fille qu'ils aient produite car il leur a fallu beaucoup, vraiment beaucoup d'énergie pour me fabriquer. Toi aussi, tu es né dans une rose ?
- Non, je suis né dans un chou, un magnifique chou frisé que nous cultivons dans notre potager. Viens, je vais te montrer."
Voletant au-dessus de la tête de Rosine, le Prince conduisit la fillette par un chemin tortueux circulant entre des rosiers, des glycines, des Rhododendrons et des azalées vers un village fait de branchages d'oliviers entrelacés. Devant chaque maison s'étalait un jardinet dans lequel poussaient rosiers et choux pourvoyeurs d'enfants mais aussi des radis, des haricots, des salades et des betteraves...Les mêmes fils d'argent déjà vus dans les arbres cernaient ces jardins, entretenus par de belles araignées vertes. C'était féérique, plus encore que le jardin de Latifa.

en route vers le village

Une question inquiétait Rosine : "Pourquoi les garçons ont-ils des ailes alors que les filles n'en ont pas ? - J'ai des ailes ainsi que quelques autres car il faut bien que nous surveillions les abords de notre pays du haut des oliviers qui l'entourent. Si nous étions obligés de grimper tous les jours jusqu'au sommet de ces grands arbres, nous serions épuisés, alors, un de nos ancêtres a inventé ce système d'ailes que nous empruntons aux termites quand ils n'en ont plus besoin, leur saison d'accouplement étant passée et qu'ils nous ont appris à les faire fonctionner. Si les filles veulent, elles peuvent aussi apprendre à se servir de ces ailes, mais, souvent, elles préfèrent nous faire confiance dans notre surveillance au cours de laquelle, de temps en temps, elle viennent chanter près des oliviers pour nous distraire un peu."

 chants

Le soir était venu. Après avoir grignoté un radis et quelques graines avec les autres filles et les Princes du village, Rosine refusa l'invitation à dormir dans une des cabanes de branches et préféra demander l'hospitalité à une grosse rose qui commençait à se refermer. Celle-ci accepta, heureuse de se sentir de nouveau enceinte pour une nuit.

le village
sommeil dans la rose

Rosine vécut quelques temps dans ce pays enchanté mais, un jour, elle escalada de nouveau le même olivier : elle espérait, du trou dans le tronc, apercevoir la maison de Latifa et le jardin, elle voulait adresser un signe à sa mère, la rose, mais, c'était trop loin, elle ne vit que le sable ocre de la campagne jerbienne.

a travers le trou

Alors, elle descendit du côté des terres arides et s'en fut vers l'est, toute seule, à pied, aucune fourmi ne passant par là, vers le lieu de sa naissance.

 a travers la campagne

Latifa ne la vit jamais arriver. Avait-elle trouvé un autre pays semblable à celui d'où elle venait en se trompant de direction ? Avait-elle été écrasée par un pied humain ? Avait-elle grandi au cours de son voyage jusqu'à devenir une grande petite fille qui ne pourrait plus dormir dans une rose ? Bien que fée, Latifa ne pouvait tout savoir et elle ne sut jamais ce qu'était devenue Rosine, Pourtant, elle la guetta longtemps !

 rosine ecrasée

Elle avait appris le départ de Rosine de l'oasis secrète en allant coller son oreille contre un de ces nombreux petits passages qui ponctuaient ici ou là les troncs des vieux oliviers grincheux barrant l'accès à l'oasis : les bavardages des petits habitants lui étaient arrivés à l'oreille et elle s'était dépêchée de rentrer chez elle pour l'accueillir, mais...Son jardin n'enfanta plus d'autres petites filles car les roses dirent : Si nous ne devons jamais plus les revoir !

Latifa écoute

C'est Latifa qui me conta cette histoire lors d'un de mes voyages à Jerba et je la crois. Depuis, je regarde toujours à travers les troncs percés des oliviers millénaires avec l'espoir d'apercevoir cette oasis merveilleuse, mais, je n'ai pas su trouver où elle se cachait et Latifa n'a jamais voulu me révéler ce secret : elle veut qu'on laisse la communauté des petits personnages naissant dans les roses et les choux vivre tranquillement dans leur nature enchantée. Elle sait que les hommes détruisent facilement les plus beaux paysages.

Latifa guette
Gisele 2016